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Gérard Genette (1930-2018)

J'apprends la mort aujourd'hui de Gérard Genette. Philippe Lançon a déjà sorti un très bel hommage dans Libération. Tant mieux, il n'y aura pas besoin d'en rajouter plein d'autres, notamment ici (sinon, ce blog va finir par ressembler à une chronique nécrologique). Dans le numéro 31 de la RHSH, Lucile Dumont a écrit un article très intéressant qui parle notamment de lui (et de Barthes et Todorov). J'imagine que sa thèse doit en dire encore davantage. Lorsqu'elle était venue présenter la première version de son futur article dans le séminaire de Y. Renisio et C. Orozco-Espinel, elle nous avait confié qu'il lui avait été impossible de rencontrer G. G., très réticent peut-être à l'idée de s'épancher devant une jeune sociologue. Pour autant, contextualiser la poétique est utile, ce qu'elle a commencé à accomplir. Mais n'ôtera rien à tous ces livres qu'il a écrits dans les années 1970-80, de Figures III (1972) à Seuils (1984), moment où il a défriché de vastes terrains, souvent dans une perspective étrangement typologisante. Le Genette-analyste d'une œuvre était lui-aussi souvent admirable, encore que d'une manière plus classique, disciplinaire en somme.

J'ai l'intuition que l'homme n'était pas toujours très avenant, lui par ailleurs si drôle et suggestif. De nombreux passages de ses fragments (Barbadrac, 2006 ; Codicille, 2009 ; Apostille, 2012 ; Epilogue, 2014 ; Postscript, 2016) sont vaguement (et même parfois franchement) désagréables, en particulier quand il parle de politique (et notamment de Mai-68). Ce qu'il y a de meilleur selon moi dans ces textes à substrat autobiographique plus ou moins détourné et brouillé survient quand il réfléchit sur la langue, ses usages, ses dérives. On y retrouve alors le très suggestif critique et analyste du langage et de l'expression qu'il a été. On ne peut pas exceller sur tous les tableaux, être à la fois une figure majeure de la critique littéraire française et en même temps un analyste de premier ordre du monde social. La série de ces cinq livres est fascinante, élégante, elle n'en demeure pas moins très en retrait de ce qu'il avait pu faire auparavant.

Ces réserves posées, demeure une œuvre marquante, irréductible à quelques sobriquets comme « structuraliste ». Il y a dans la lecture de bien des textes de G. Genette matière à éprouver le genre de frisson que Nabokov décrit comme le climax de l'acte de lire (reformulation pataude, pas du tout nabokovienne pour le coup). Sa poétique a souffert d'être devenue, débitée en fiches et en glossaires, une nomenclature scolaire que l'on fait ingurgiter aux élèves — c'est un peu le destin tragique qu'on fait subir aux grands défrichages quand on veut les vernaculariser. Raison supplémentaire pour retourner le lire sur pièces ?

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Olivier Orain, une liste de publications

Publications

 

En rédigeant le CV détaillé de mon HDR, j'ai décidé de faire une liste de publications différente de celles que je conçois d'ordinaire, où je n'inclus jamais mes articles de blog et dans lesquelles mes formats courts sont complètement minorés. Comme je n'ai jamais mis une telle liste ici, c'est l'occasion ou jamais. Je l'ai même augmentée de mes contributions à Sitartmag. L'ordre est rétrochronologique et je n'ai rien hiérarchisé, sinon la date de publication. Les mentions d'articles de blog ont fait l'objet d'une sélection drastique. Presque tous les textes sont lisibles sur internet.

 

- Orain, O., 2022, "A social history of quantitative geography in France from the 1970s to the 1990s: an overview of the blossoming of a multifaceted tradition". In Gyuris (F.), Michel (B.), Paulus (K.) (eds), Recalibrating the Quantitative Revolution in Geography. Travels, Networks, Translations. London, Routledge, Routledge Research in Historical Geography, pp. 102-117.

- Orain, O. 2021, Une histoire de la géographie au prisme des sciences humaines, Mémoire d'habilitation à diriger des recherches, 3 vol., Paris, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 85 + 445 + 128 p.

- Orain, O. 2021, « Préface. Maximilien Sorre et vingt mille savants français», dans D. Simon, Max Sorre, une écologie humaine. Penser la géographie comme science de l'homme, Paris, éditions de la Sorbonne, p. 7-13.

- Orain, O. 2021, « Mai-Juin 68, l'Espace géographique et la mémoire d'une communauté », L'Espace géographique, 2020/1, p. 1-4.

- Orain, O. et Robic, M.-C., 2021, dir., « Mai-Juin 68, une anamnèse », dossier, L'Espace géographique, 2020/1, p. 1-72.

- Orain, O., 2020, « Croissance et métamorphose des « sciences sociales » en France pendant et après l’épisode contestataire des « années 68 » », dans B. Frère, S. Fontaine, P. Italiano (dir.), Mai 68 et les sciences sociales : la lutte continue. Hommage à Marc Jacquemain, Liège, Presses universitaires de Liège, « Sciences politiques et sociales », p. 35-57.

- Orain, O., 2020, « Grandes étapes des réformes de l’enseignement supérieur et de la recherche en France 1968-2020 », Revue d’histoire des sciences humaines, 2020, n° 36, p. 201-204.

- Feuerhahn, W., Orain, O., 2020, « Géographies académiques pour temps de crise » / "Geographies of Academia for a Time of Crisis", Revue d’histoire des sciences humaines, n° 36, p. 5-6.

- Orain, O., 2020, « Constructivisme », dans Collectif, Dictionnaire critique de l’Anthropocène, Paris, CNRS éditions, p. 204-207.

- Feuerhahn, W. & Orain, O., 2019, dir., « Chemins de traverse. Nouveaux lieux, nouveaux chantiers », Revue d’histoire des sciences humaines, n° 34.

- Feuerhahn, W. & Orain, O., 2019, « Pour une historie inclusive des sciences humaines et sociales », Revue d’histoire des sciences humaines, n° 34,  p. 7-10.

- Feuerhahn, W. & Orain, O., 2019, « For an inclusive history of the humanities and social sciences », Revue d’histoire des sciences humaines, n° 34,  p. 11-14.

- Feuerhahn, W., Orain, O., Bertrand, E., Blanckaert, C., Ginsburger, N., Gouarné, I., Hirsch, T., Keck, F., Laurière, C., Müller, B., Rabault-Feuerhahn, P., Simon, D., Trochu, T., 2019, « Un Monde passionnant et incertain. Table ronde sur l'histoire des sciences humaines et sociales », Revue d’histoire des sciences humaines, n° 34, p. 197-244.

- Feuerhahn, W. & Orain, O., 2019, « La revue, un lieu de contestation ? », Tracés, Revue de Sciences humaines [En ligne], #18 | 2018,  p. 35-47.

- Orain, O. & Marcel J.-C., dir., 2018, Penser par écoles, dossier de la Revue d’histoire des sciences humaines, printemps, n° 32.

- Orain, O., 2018, « Les Écoles en sciences de l’homme : usages indigènes et catégories analytiques », Revue d’histoire des sciences humaines, n° 32, printemps 2018, p. 7-38.

- Chapoulie, J.-M., Feuerhahn, W. & Orain, O. , 2018, « Depuis Chicago : Le regard de Jean-Michel Chapoulie sur une tradition qui n’a pas fait école », Revue d’histoire des sciences humaines, n° 32, printemps 2018, p. 171-193.

- Orain, O., 2018, « Franck Auriac (1935-2017) », Blog Esprit critique

- Orain, O., 2017, « Nature, environnement et géographie » (appel à texte), L’Espace géographique, 46/ 3, p. 231-234.

- Orain, O., & Robic, M.-C., 2017, « La géographie au Collège de France (milieu xixe-milieu xxe siècle), ou les aléas d’une inscription disciplinaire » dans W. Feuerhahn, dir., La Politique des chaires au Collège de France, Paris, Les Belles Lettres, « Docet omnia », p. 435-480.

- Feuerhahn, W. & Orain, O., 2017, « Qu’est-ce que le spatial turn ? Table-ronde avec Jean-Marc Besse, Pascal Clerc et Marie-Claire Robic », Revue d’histoire des sciences humaines, n° 30, printemps, p. 205-238.

- Orain, O., & Rhein, C., 2017, « Convictions » (éditorial), L’Espace géographique, 46/ 1, p. 1-3.

- Orain, O., 2016, « Le rôle de la graphique dans la modélisation en géographie. Contribution à une histoire épistémologique de la modélisation des spatialités humaines », dans C. Blanckaert, J. Léon, D. Samain, dir., Modélisations et sciences humaines. Figurer, interpréter, simuler, L’Harmattan, « Histoire des sciences humaines », p. 215-268. Version auteur.

- Orain, O., dir., 2015, Les « années 68 » des sciences humaines et sociales, dossier de la Revue d’histoire des sciences humaines, 2015, n° 26.

- Orain, O., 2015, « Une fertilisation paradoxale ? Bilan historiographique de l’incidence de Mai 68 sur les transformations des sciences de l’homme et de la société dans les années 1960-1970 », Revue d’histoire des sciences humaines, n° 26, p. 243-294. Dépôt sur HAL-SHS.

- Orain, O., 2015, « Tentative d’épuisement d’une conférence parisienne », L’Espace géographique, 44/4, p. 345-348. Figure ici.

- Orain, O., 2015, « Mai-68 et ses suites en géographie française », Revue d’histoire des sciences humaines, n° 26, p. 209-242. Dépôt sur HAL-SHS.

- Orain, O., 2015, « Introduction. Les « années 68 » des sciences humaines et sociales », Revue d’histoire des sciences humaines, n° 26, p. 9-16. Version auteur.

- Orain, O., 2015, « À propos de « Propositions destructives » », Revue d’histoire des sciences humaines, n° 26, p. 305-311. Dépôt sur HAL-SHS.

- Feuerhahn, W. & Orain, O., 2015, « Éditorial », Revue d’histoire des sciences humaines, n° 26, p. 5-6.

- Orain, O., 2013, « Compte rendu de Gavin Bowd, Emmanuel de Martonne et la Roumanie », Annales de géographie, 2013/6, n° 694, p. 712.

- Orain, O., 2011, « La Fabrique d’un livre : réponse et discussion », Géocarrefour, vol. 86, n° 3-4, p. 237-242.

- Orain, O., 2010, « Le Mai 68 des historiens entre identités narratives et histoire orale d’Agnès Callu », Revue d’histoire des sciences de l’homme, n° 23, p. 243-248. Figure ici.

- Orain, O., 2010, « CR de Claude Bataillon Géographes. Génération 1930», Revue d’histoire des sciences de l’homme, n° 23, p. 237-239. Figure ici.

- Orain, O., 2009, De plain-pied dans le monde. Écriture et réalisme dans la géographie française au xxe siècle, Paris, L’Harmattan, « Histoire des sciences humaines », 427 p.

- Orain, O., 2009, « Écrire sur 68 en spécialiste, tournant ou accomplissement ? », Genèses, n° 76, p. 137-156.

- Orain, O., 2009, trois comptes rendus d'ouvrage sur 68 pour le site Sitartmag.

- Orain, O., 2008, « Compte rendu de Luc Boltanski, Rendre la réalité inacceptable. À propos de La Production de l’idéologie dominante, Demopolis, 2008. » Blog Esprit critique

- Orain, O., 2008, « Assez déplaisant. À propos de Grimpret, M. et Delsol, C., dir., Liquider Mai 68 ?, Presses de la renaissance, 2008 », Blog Esprit critique

- Orain, O., 2008, « Thomas Disch (1940-2008) », Blog Esprit critique

- Orain, O., 2007, « Réalisme », Hypergéo, encyclopédie en ligne :

- Orain, O., 2007, « Constructivisme », Hypergéo, encyclopédie en ligne

- Orain, O., & Robic, M.-C., 2007, « Nicole Mathieu, un itinéraire en interdisciplinarité », La Revue pour l’histoire du CNRS, n° 18, automne, p. 29-33.

- Orain, O. & Sol, M.-P., 2007, « Les géographes et le travail collectif. La recherche coopérative sur programme à l’œuvre », La Revue pour l’histoire du CNRS, n° 18, 2007, p. 11-14.

- Orain, O., 2007, « Positivisme : notes de cours », Blog Esprit critique

- Orain, O., 2007, « Poétique et géographie (comment je les ai mariées à ma façon) », Blog Esprit critique

- Orain, O., 2007, « Le présentisme dans son contexte », Blog Esprit critique

- Orain, O., 2007, « Sur l’appréhension des problèmes de société par les géographes », Blog Esprit critique.

- Orain, O., 2007, « Misère du possibilisme », Blog Esprit critique.

- Orain, O., 2007, « Du spatialisme et du pluralisme », Blog Esprit critique.

- Orain, O., 2007, « La génétique n’explique pas les comportements humains », Blog Esprit critique.

- Orain, O., 2006, « Quels apports de la géographie aux mondes de demain ? », dans Géopoint 2006, Demain la géographie. Permanences, dynamiques, mutations : pourquoi ? Comment ?, p. 423-431, spéc. 423-425.

- Orain, O., 2006, « La géographie comme science. Quand « faire école » cède le pas au pluralisme » dans M.-C. Robic, dir., Couvrir le monde. Un grand xxe siècle de géographie française, Paris, Ministère des affaires étrangères, Association pour la diffusion de la pensée française (ADPF), p. 81-115. Version auteur.

- Orain, O., 2004b, « Une clinique par les formes », actes pour le Géopoint 2004, La Forme en géographie, 4 p.

- Orain, O., 2004a, « La géographie française face à la notion d’échelle. Une approche par les significations et les contenus épistémologiques », Cours C.N.E.D. dans le cadre de la question d’agrégation Échelles et temporalités en géographie, fascicule II, Vanves, CNED, p. 2-24. Version auteur.

- Orain, O., 2003b, Le plain-pied du monde. Postures épistémologiques et pratiques d’écriture dans la géographie française au xxe siècle, thèse de doctorat sous la direction de Marie-Claire Robic, Paris, université de Paris I Panthéon Sorbonne, 2003, 405 p. Dépôt sur TEL.

- Orain, O., 2003a, « Sorre, Maximillien (1880-1962) », dans J. Lévy et M. Lussault, dir., Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, p. 834-835.

- Orain, O., 2001b, « Démarches systémiques et géographie humaine », Cours C.N.E.D. dans le cadre de la question d’agrégation Déterminisme, possibilisme, approche systémique : les causalités en géographie, sous la direction de M.-C. Robic, fascicule III, Vanves, CNED, p. 1-64. Dépôt auteur sur HAL-SHS.

- Orain, O., 2001a, « Emmanuel de Martonne, figure de l’orthodoxie épistémologique postvidalienne ? » dans G. Baudelle, M.-V. Ozouf-Marignier et M.-C. Robic, dir., Géographes en pratiques (1870-1945). Le terrain, le livre, la Cité., P. U. de Rennes, p. 289-311. Dépôt auteur sur HAL-SHS.

- Orain, O., 2000, « Les “ postvidaliens ” et le plain-pied du monde. Pour une histoire de la géo-graphie », dans J. Lévy & M. Lussault, dir., Logiques de l’espace, esprit des lieux. Géographies à Cerisy, Belin, coll. « Mappemonde », p. 93-109. Dépôt auteur sur HAL-SHS.

- Orain, O., 1999, « Les motivations du discours géographique. Contribution à une étude textuelle des écrits des géographes postvidaliens », dans G. Nicolas, dir., Géographie(s) et langage(s) : interface, représentation, interdisciplinarité, Institut universitaire Kurt Bösch, Sion, Suisse, p. 155-169. Lisible ici.

- Orain, O., 1997, « Ex-URSS, un renouvellement des savoirs », (compte rendu du livre de R. Brunet, D. Eckert, V. Kolossov et alii, Atlas de la Russie et des pays proches, Montpellier / Paris, GIP Reclus / La Documentation française, 1995), L’Espace géographique, n° 1, p. 92-94.

- Orain, O., 1996, « La géographie russe (1845-1917) à l’ombre et à la lumière de l’historiographie soviétique », L’Espace géographique, n° 3, p. 217-232. Version longue.

- Orain, O., 1992, Référent littéraire et littérarité dans la géographie française au xxe siècle, mémoire de DEA, Paris, DEA ATEG, juin 1992, 25 p.

- Orain, O., 1992, La géographie russe pré-révolutionnaire. Rapport de stage en Russie, Paris, DEA ATEG, juin 1992, 64 p. (dont 20 pages de bibliographie).

 

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Franck Auriac (1935-2017)

Franck Auriac (1935-2017)

 

 

Franck Auriac est parti sans bruit au commencement de l’hiver 2017. Depuis des années, des soucis de santé l’avaient subtilisé au monde académique. Mais ce n’était pas forcer son tempérament, lui qui préférait le travail discret aux coups de clairon. Il n’a pas été, loin de là, un entrepreneur de notoriété pour lui-même et ses travaux se sont souvent inscrits dans un cadre collectif, de sorte que sa mémoire est à bas bruit. L’objectif de ce texte est de fournir quelques éléments pour aller contre le risque d’oubli et rendre justice — un tant soit peu — à son travail. J’ai eu la chance de le fréquenter épisodiquement dans les années 2000 et de le faire parler de sa trajectoire, exercice auquel il ne rechignait pas. Hélas, c’était à l’occasion d’échanges amicaux, dont il ne me reste que des souvenirs fragmentaires et assez flous. Il a par ailleurs écrit un texte pour partie autobiographique, publié dans Géocarrefour en 2003. Yvette Auriac a eu la gentillesse de me communiquer un curriculum vitae qui me permettra de ne pas proférer de bêtises et (trop) d’approximations. Elle m'a également communiqué les quelques photographies qui agrémentent le texte. J'ai par ailleurs créé plusieurs pages en annexe à cet hommage : l'une reprend mon analyse déjà ancienne de Système économique et espace et des articles connexes ; une autre met à disposition une version numérisée de l'article de Franck Auriac « Le Pays-territoire » (Géopoint 82), avec l'aimable autorisation du Groupe Dupont et d'Yvette Auriac.

 

Avant Système économique et espace

Franck Auriac
Franck Auriac, cl. Yvette Auriac

Franck Auriac venait du Cantal, sa région de cœur. Comme il l’a retracé lui-même, il a d’abord marché dans les traces de ses parents instituteurs — primaire supérieure, école normale — avant d’entrer à l’École Normale Supérieure de l'Enseignement Technique (ENSET) de Cachan. Il se destinait alors à enseigner les Lettres et l’histoire-géographie en lycée technique, avec un tropisme marqué pour la littérature, qui est toujours restée chez lui un jardin secret, non sans éprouver parfois quelques regrets de ne pas avoir choisi cette voie. Repéré par Pierre George, qui avait ses entrées à Cachan, il fut incité par ce dernier à passer l’agrégation de géographie.

Et lui-même de commenter :

Il me semble aussi que l'enseignement reçu en scolarité secondaire, celui par exemple des disciplines d'histoire et géographie, ne laissait guère supposer l'existence d'une plus grande diversité de sciences sociales ouvertes à d'autres voies. Sans cette ignorance, j'aurais bien, par exemple, fait le choix de l'économie plutôt que de la géographie.

L'entrée à l'École Normale Supérieure de l'Enseignement Technique n'était pas alors (milieu des années 50) la meilleure opportunité pour devenir géographe. Il fallut quelque temps pour constater qu'une éventuelle promotion professionnelle passerait par la voie de l'agrégation et que surtout, seule celle de géographie pouvait convenir à l'évaluation de mes aptitudes. Plus que celles-ci, s'impose une sensibilité résultant d'une enfance campagnarde et d'une forte imprégnation des lieux habités. (Auriac, 2003, p. 7)

 

Au sortir de l’ENSET (1959), il fut professeur de lycée dans le Sud-Est, à Valence, Grenoble puis Montpellier. Il passa finalement l’agrégation en 1966, à la suite de quoi il obtint un poste d’assistant à l’université de Montpellier (1967). Il publia ses premiers articles dans le Bulletin de la Société Languedocienne de géographie et le BAGF, certains en collaboration avec Marie-Claire Bernard (née en 1936) ou Pierre Carrière (né en 1932). La thématique en était clairement l’espace rural, sa stratification sociale et ses activités (sans exclusive pour l’agriculture). Dès cette époque, la géographie qu’il pratiquait était clairement socio-économique, proche de ce que pouvait faire un Pierre George (1909-2006) à l’époque, dont P. Carrère était l’un des épigones. Les traitements statistiques occupent déjà une part non négligeable dans ces premières publications. Mais la rencontre décisive de ces années — explicite dès l’article du BAGF de 1969 publié en collaboration avec M.-C. Bernard — est le laboratoire d’économie rurale (INRA) de Montpellier, en particulier Philippe Lacombe (1939-2017) et Jean-Louis Guigou (né en 1939). Franck Auriac a plusieurs fois eu l’occasion d’exprimer combien la forme de marxisme hétérodoxe que développaient alors les « économistes ruraux de Montpellier » avait été une source d’inspiration pour lui.

 

Dans les années 1970, il participa aux stages de formation aux techniques statistico-mathématiques organisés par l’ORSTOM puis le CNRS (Cauvin, 2007 : Cuyala, 2015) et rejoignit précocement le Groupe Dupont. Il publia ses premiers travaux utilisant l’analyse factorielle en 1975, année où paraissent ses premiers articles dans l’Espace géographique, alors jeune revue lancée trois ans auparavant. En 1978, il fut l’un des animateurs du deuxième colloque Géopoint,  Concepts et construits dans la géographie contemporaine (Lyon). Il y présenta un texte, « De la notion au concept de combinaison en géographie », qui revisitait la catégorie de « combinaison » de la géographie classique (en particulier chez A. Cholley et P. George) et proposait de la reconstruire en termes de « formulation matricielle » et d’analyse multivariée. Clairement, cette élaboration se ressentait de sa récente acculturation aux techniques de traitement et de classification statistico-mathématiques basées sur la co-variance. Sa participation aux Géopoints successifs fut aussi l’occasion de rencontrer des auteurs comme Henri Reymond (né en 1930) et Claude Raffestin (né en 1936), dont il a dit l’importance dans l’élaboration de sa propre réflexion : la réflexion du premier sur la « contradiction espace-étendue » et les questions d’espacement ; la posture épistémologique du second et son affirmation du caractère construit des objets géographiques.

 

Le livre d’une vie ?

Franck Auriac, Système économique et espace. Un exemple en Languedoc (1979)
Couverture de la thèse

Pour autant, sa production des années 1970 demeura assez éclectique : assez classiquement, des voyages et mission à l’étranger l’amenèrent à publier des articles et rapports à propos du Pakistan (1976) et de la Bulgarie (1977-78). Suite à ces diversions, il a raconté plusieurs fois avoir voulu se recentrer, rassembler les éléments épars de sa recherche et faire le point sur son sujet de thèse, déposé depuis déjà douze ans. Le processus d’écriture qui en découla fut relativement intense et bref. Il déboucha sur les 438 pages de Système économique et espace. Un exemple en Languedoc, thèse soutenue début octobre 1979. Deux ans après la thèse de Michel Chesnais (1939-2001) et un an après celle d’Yves Guermond (né en 1936), c’était l’une des toutes premières à se revendiquer de la « géographie théorie et quantitative » qui avait émergé en France au début de la décennie 1970. Le jury comprenait, outre son directeur de thèse Raymond Dugrand (1925-2017, élève de Pierre George, spécialiste des relations ville-campagne et du Languedoc), Yves Barel (1930-1990, sociologue, l’un des promoteurs de l’approche systémique en France), André Fel (1926-2009, ruraliste, alors professeur à Clermont-Ferrand), Bernard Kayser (1926-2001, autre élève de P. George, lui aussi spécialiste des relations entre le rural et l’urbain), Robert Lafont (1923-2009, occitaniste, alors professeur à l’université Paul-Valéry) et Henri Reymond. Le jury, « très complet au regard du but explicite de la thèse » se déclarait dans le rapport de soutenance « unanime à reconnaître l’originalité profonde du travail présenté » et déplorait « la modestie d’un titre qui reflète mal les caractéristiques et l’importance de la réflexion » de son auteur. On sent dans l'écriture du rapport, au moins épisodiquement, la patte d’Henri Reymond. Le texte est jugé alternativement « dense et élégant » et « par trop « jargonnesque » dans ses concepts », même si le jury énonce que « cette thèse constitu[e] une réponse valable à l’actuelle crise de la géographie qu’elle spécifie clairement dans le premier chapitre ». Et de poursuivre plus loin : « Cette nouvelle approche, qui lie systémisme et matérialisme dialectique, demande, a souligné un membre du jury, que se réalise parmi les géographes une véritable révolution intellectuelle. » Il finissait en saluant un « excellent travail » doté d’ « une heuristique à la fois tranquille et provocante dans la pertinence disciplinaire de ses propositions ».

 

Système économique et espace de Franck Auriac
Un gradient de viticolité

Analyser la réception de cette thèse et du livre qui en a été tiré (Auriac, 1983) est une affaire difficile : il y en eut très peu de comptes rendus, significativement aucun dans les Annales de géographie et — c’est plus surprenant — dans l’Espace géographique. L’analyse la plus développée fut produite par Alain Reynaud à propos du volume de 1979 dans les Travaux de l’institut de géographie de Reims en 1981. Significativement, A. Reynaud déplorait qu’elle soit demeurée « très confidentielle dans sa diffusion » « deux ans après sa soutenance ». Pour autant, la référence au livre publié en 1983 est en revanche importante, quoique diffuse, dans un large éventail de travaux publiés dans les deux décennies qui ont suivi, en particulier ceux marqués par une ambition théorique. Elle y est souvent comprise comme un manifeste du « systémisme », alors que son marxisme a peu retenu l’attention : il faut dire qu’elle a été lue (ou feuilletée) au moment où s’amorçait le reflux du marxisme dans la géographie française comme discours dont on se revendique. Elle a reçu un meilleur accueil que d’autres productions estampillées « théoriques et quantitatives » car elle semblait indemne du « spatialisme » ou du « fétichisme de l’espace » que nombre de géographes « sociaux » ou « des représentations » ont beaucoup reproché à l’analyse spatiale (après que cela eut été un débat interne à celle-ci). Elle a été considérée, dans le contexte polyphonique des années 1980 et du début des années 1990, comme un livre ayant fait date et ayant profondément renouvelé les démarches de la géographie française. Pour autant, elle a été assez peu discutée, reprise (dans ses procédures) ou mise en débat, que ce soit par les spécialistes de géographie viticole (qui n’y retrouvaient pas leurs centres d’intérêt), les tenants d’une approche systémique, ou les débats sur la pertinence du cadre régional. La seule controverse que je connaisse a été enclenchée par Guy Baudelle et Philippe Pinchemel dans un article d’Espace, jeux et enjeux (cf. infra), dont Franck Auriac était l’éditeur. Ils lui reprochaient entre autres d’avoir présenté une version trop abstraite et intellectualisée de son objet, et d’avoir récusé la possibilité d’un système littéralement spatial (pour F. Auriac, on ne peut parler que de système spatialisé, la « potentialisation spatiale » et la « spatialisation » d’un système socio-économique étant des résultantes de processus hétéronomes — sur ces débats, cf. Orain, 2001).

 

Je ne reviens pas sur le contenu du livre publié, sur lequel j’ai abondamment écrit. Je renvoie le lecteur à mon compte rendu de 1992 (une version marginalement réécrite constitue la troisième partie de mon cours Démarches systémiques et géographie humaine [Orain, 2001]) et l’on en trouve une interprétation sous l’angle du constructivisme dans le dernier chapitre de De Plain-pied dans le Monde (Orain, 2009 : 359-375). Franck Auriac était mal à l’aise avec cette étiquette de « constructiviste », qui ne faisait pas partie de ses catégories avant de lire ma thèse en 2003. Il m’avait envoyé en retour sa contribution à Géocarrefour, op. cit., dans laquelle il se définit lui-même comme à la fois « positiviste » et « matérialiste ». Il se reconnaissait davantage dans les analyses de détail du Plain-pied et m’avait affirmé que de son point de vue le vignoble languedocien n’était pas littéralement un système mais se prêtait à une analyse en termes systémiques. Il exprimait également une forme de frustration à l’égard de l’écriture de son livre. Pourtant, dans les spécificités de ses formulations à la fois denses et rigoureuses, Système économique et espace possède un potentiel de séduction intellectuelle, qui suppose de dépasser l’obstacle que peut constituer son mode de formulation : il faut rentrer dans sa langue — qui n’a rien de vernaculaire. En ce sens, il répondait pleinement aux injonctions de C. Raffestin à sortir du langage ordinaire et à formuler une problématique permettant d’inférer un plan d’explication spécifique.

 

Il faudrait également dire un mot de ce qui diffère entre la thèse proprement dite et le livre qui en a été tiré quatre ans plus tard. Les introductions sont un peu différentes. Celle de 1983 a tiré les leçons d’une réflexion épistémologique qui a pris de l’épaisseur entretemps (cf. Auriac et Durand-Dastès, 1981). Elle est plus optimiste, également. Elle résume très fortement le contenu du premier chapitre de la thèse, intitulé « Cadre conceptuel et hypothèses », qui n’a pas été conservé. Mais la coupe la plus frappante est celle opérée sur les longues bibliographies clôturant les chapitres du volume de 1979. Loin de n’être que des listes, ce sont des mentions (le plus souvent) commentées, qui développent le contenu de bon nombre d’articles et de livres, comme autant de documents de travail qui renseigneraient sur l’activité de lecteur de Franck Auriac. Il y aurait un travail d’exégèse à faire de ce geste, que l’on retrouve au demeurant dans des travaux ultérieurs de leur auteur. À un niveau moins signifiant, une bonne partie de l’iconographie, notamment celle qui était de nature spéculative, a été retranchée. On la retrouve pour partie dans des articles publiés ultérieurement (par exemple dans Auriac, 1986a et 1986b). Dernière différence à souligner, il faudrait noter la présence d’une préface de Roger Brunet au livre de 1983, « l’espace, pour ne plus errer ». Les livres préfacés par R. Brunet ne sont pas nombreux. Celle-ci est une lecture très singulière. À bien des égards, on pourrait dire qu’elle opère un pas de côté par rapport au livre qu’elle présente.

 

Demeure une inconnue : s’il est revenu à plusieurs reprises sur ce travail fondateur, F. Auriac n’a jamais produit de compléments, de mises à jour ou de reformulations de ce qu’il avait écrit. À la différence d’auteurs qui font inlassablement évoluer leur interprétation de l’objet qui les a occupés, il ne s’est notamment pas demandé si des évolutions ultérieures du vignoble languedocien (tel son découpage et fractionnement en une marqueterie d’appellations locales et sous-régionales, dans le cadre de logiques dites « de qualité ») permettaient encore de le considérer comme un système socio-économique. Je l’ai interrogé sur la question, à laquelle il m’a répondu par l’affirmative, sans que nous ayons le temps d’approfondir le sujet. En un certain sens, ce qui reste son seul livre en nom d’auteur (unique), demeure le geste d’un moment, le cas échéant vulgarisable ou reproductible, sans y revenir vraiment.

 

Investissements collectifs

La période qui a immédiatement précédé et suivi la soutenance de sa thèse (en gros, 1978-1986) a été celui où il a été le plus actif du point de vue de la recherche et de l’élaboration intellectuelle. Dans cette période, une fois libéré de l’exercice « thèse d’État » et reconnu par lui, il s’est démultiplié dans diverses entreprises collectives : il a joué un rôle décisif dans l’organisation des Géopoints de 1982 à 1992 ; il est devenu l’une des figures importantes du comité de rédaction de l’Espace géographique et de Mappemonde ; il a participé aux grandes entreprises de bilan prospectif sur le devenir des sciences sociales des années 1980-1990, et en ce sens a participé à leur transformation. Dans le Géopoint de 1982, Le Territoire dans les turbulences, il a livré l’un de ses plus beaux textes, « Le Pays-territoire », qui est un travail d’exégète de la littérature savante qui était produite à l’époque sur la question des « pays ». [Nota bene : dans la version mise en ligne, la pagination d'origine figure en gras, entre crochets, et signale la fin des pages. L'importation dans overblog m'a par ailleurs contraint à reporter les notes en fin de document.]

 

F. Auriac et R. Brunet, Espaces, jeux et enjeux
Couverture d'Espaces, jeux et enjeux

Mais son autre contribution de grande ampleur de l’époque a été le pilotage, avec R. Brunet, du volume Espaces, Jeux et enjeux, publié en 1986 par Fayard et la Fondation Diderot. On peut lire ce volume de contributions se voulant fondamentales — c’est explicitement une « encyclopédie » — de diverses manières. L’une des plus évidentes est d’y voir l’intention de deux ténors de la géographie d’alors de faire dialoguer des auteurs venant d’horizons disciplinaires variés avec les figures les plus en vue des diverses sensibilités de la géographie du moment, sur le thème (théorique) de l’espace et du territoire comme productions des sociétés. On y trouve des contributions d’historiens (Bernard Lepetit et Patrice Bourdelais), d’économistes (Claude Lacour, Alain Lipietz), de sociologues (Jean-Pierre Garnier, Michel Marié, Y. Barel), d’un occitaniste-linguiste (R. Lafont) et d’un politiste (Paul Alliès). Y sont présents du côté de la géographie des représentants de l’analyse spatiale (Henri Chamussy, F. Auriac, G. Baudelle et P. Pinchemel, Y. Guermond, R. Brunet), des géographes sociaux (André Vant, Nicole Mathieu), diverses tendances de la « géographie politique » (Jacques Lévy, Yves Lacoste), de la géographie des représentations (Antoine Bailly) ou du territoire (C. Raffestin), des épistémologues du champ (Jean-Marc Besse et Marie-Claire Robic) et un « spécialiste » de la mondialisation (Olivier Dollfus). À l’époque, sur un tel sujet, ce n’était pas un casting mineur.

 

Revenant sur cette entreprise, il m’avait confirmé en avoir été la cheville ouvrière. On y retrouve également une bonne partie de ses réseaux ou inclinations personnelles. De façon très auriacienne, chaque texte est précédé par une présentation du ou des auteur(s), ainsi que du texte. L’introduction (non signée) est également (surtout) de sa main. À cet égard, et compte tenu de l’énergie éditoriale qu’il y a investi, on a affaire très certainement à l’autre livre de sa carrière. Recensé par François Walter dans les Annales Histoire Sciences sociales et par Jean-Bernard Racine dans l’Espace géographique, l’ouvrage a plus globalement retenu l’attention davantage pour certaines de ses contributions (ainsi celles de C. Raffestin et A. Vant) que comme dispositif d’ensemble. Six ans plus tard, il a été en quelque sorte supplanté par une entreprise similaire, l’Encyclopédie de géographie (Bailly, Ferras et Pumain, 1992, 1996), beaucoup plus volumineuse et bien moins spéculative : là ou il y avait encore de la réflexion en train de se cristalliser en 1986, les volumes d’Économica se donnent les traits de la « science normale » (au sens de Kuhn).

Extrait du volume 8 de l'Atlas de France, L'Espace rural, p. 68 (Cartographie après analyse factorielle)

Par la suite, F. Auriac s’est investi surtout dans des projets cartographiques, notamment dans le genre Atlas. Il a co-dirigé la collection Atlas de France-Reclus entre 1994 et 1996, a participé au comité de rédaction de la revue Mappemonde, fondée en 1986 par Roger Brunet (qui publie essentiellement des travaux autour de cartes). Il a partagé la direction du volume 8 de l’Atlas de France, Espaces ruraux, avec Violette Rey. Il en est le principal contributeur, étant l’auteur unique ou en collaboration d’une petite moitié de son contenu. Rare occasion de le voir revisiter la question viticole dans le Sud-Est. On peut faire l’hypothèse que le ralentissement de son activité de chercheur et d’écrivant après 1986 est liée à son investissement dans de nombreuses activités administratives et politico-syndicales.

 

Le patron universitaire et l’homme d’influence

Franck Auriac

En 1983, F. Auriac fut élu professeur à l’université d’Avignon, où il a fait la totalité de sa carrière jusqu’à sa retraite, en 1999. Il a néanmoins continué à résider à Montpellier, devenant une sorte de « navetteur ». Il y a dirigé sept thèses, sur des thèmes passablement éclectiques, du développement local au football de haut niveau, avec une légère dominance de thématiques liées aux systèmes d’information géographique (SIG) et à leur usage. Il a été directeur du DEA « Structures et dynamiques spatiales » entre 1986 et 1995 et de l’école doctorale associée deux ans supplémentaires — ces deux entités fédéraient des groupes dans 6 universités et ont donné naissance au laboratoire « Espace ». Resterait à mesurer sa position et son charisme comme enseignant, dont je n’ai pas idée à ce stade de l’enquête.

 

Homme de gauche de sensibilité marxiste, il s’est beaucoup investi dans les conseils pilotant le recrutement en géographie au niveau national. Il a été constamment présent dans la section « géographie » du CNU entre 1987 et 1996 (soit élu, soit nommé). Au CNRS, il a fait trois mandats (comme élu), l’un alors qu’il était maître-assistant (1978-1981), les deux autres une fois professeur (1988-92). Au sein de ces comités, ce représentant du SNESUP a souvent incarné la gauche, aussi bien dans les périodes d’affrontement avec une droite revenue aux affaires que dans des périodes plus consensuelles. Sa capacité polémique en réunion était relativement redoutée, comme j’ai pu m’en rendre compte lors de réunions du groupe Dupont. Je ne suis pas en mesure pour le moment de caractériser ce qu’a pu être sa ligne de politique scientifique, mais je note qu’il a été un soutien déterminant pour que vive une histoire et épistémologie de la géographie sous la forme d’une équipe de recherche (celle-là même dont je fais partie).

 

Il n’est pas dans mon projet ici de fournir une liste exhaustive de ses responsabilités. J’en ai recensé une vingtaine au total. Il importe sans doute de noter qu’il a été le deuxième successeur de Roger Brunet à la direction de la Maison de la géographie / GIP Reclus, en 1994-1996 (après Hervé Théry en 1991-1994), signe sans doute de la confiance que le créateur de la structure lui accordait. Son mandat a correspondu au point culminant des attaques politiques contre celle-ci, normalement prorogée pour dix ans en 1991 mais qui devait disparaître en 1997. Symbole honni du socialisme universitaire et d’une forme de géographie modélisatrice, vitupéré dans les colonnes d’Hérodote pour sa mobilisation de financements importants, le GIP Reclus a été démantelé paradoxalement entre 1998 et 1999, avec un effet retard sur les alternances politiques.

 

Un dernier lieu d’influence de F. Auriac a sans doute été la production de manuels scolaires de géographie, bien que l’on sache la latitude toute relative des auteurs dans ce genre d’entreprises éditoriales. Il a été en effet l’un des auteurs des manuels de géographie Magnard parus en 1988-89, qui en leur temps ont semblé renouveler les contenus proposés aux élèves en tenant compte de évolutions du champ universitaire. L’expérience s’est poursuivie en 1995-1996.

 

Bilan, nuances et envoi

Franck Auriac
cliché Yvette Auriac

Un temps figure de la modernité et de l’exigence intellectuelle dans la géographie française, Franck Auriac est sans doute moins présent dans la production et la réflexion d’aujourd’hui. Au-delà de son œuvre la plus connue, il fut essentiellement un auteur d’articles brefs, souvent publiés dans des volumes relativement confidentiels. Peu de gens savent qu’il a rédigé les chapitres sur le Pakistan dans le volume Afrique du Nord, Moyen Orient, Monde indien de la Géographie universelle Belin-Reclus (Auriac, 1995) ou qu'il a co-publié sur le tard des travaux sur le Viet-nam avec Vu Chi Dong. Qui ne serait pas attentif aux signes ténus de sa bibliographie n’y verrait pas l’un des nombreux fils qui ont traversé sa carrière. D’autres, comme les relations villes-campagnes ou les questions d’urbanisation des villes moyennes, l’ont occupé de manière plus récurrente, si ce n’est plus visible. Son travail statistico-cartographique mériterait sans doute aussi une évaluation spécifique.

 

Demeure une figure à la fois réservée et incisive de la géographie française du dernier tiers du XXe siècle, exigeante et hésitante. Franck Auriac s’est voulu un acteur parmi d’autres dans un mouvement qu’il envisageait essentiellement collectif, à l’image de nombre de ses « frères d’arme » de la géographie statistico-mathématique promue par le Groupe Dupont. Il était pourtant capable de s’enthousiasmer aussi pour un paysage ou une œuvre littéraire, moments qui révélaient alternativement sa part de classicisme (géographique) et d’anciennes amours que les contraintes d’une vie dédiée à des causes avaient laissé de côté. Ses travaux ont été un peu patinés par le temps mais qui sait les lire y trouve une intelligence peu commune. Pour cette seule raison, ils méritent d’être relus et revisités, et pas seulement comme des témoignages historiques.

Références

 

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Delamarre, A., Auriac, F., 1991, « Cartographie de l'offre des équipements et des services en France », Mappemonde, n° 4, p. 23-26.

Auriac, F., 1995, « Le Pakistan », ch. 14-16, dans F. Durand-Dastès et G. Mutin, dir., Afrique du Nord, Moyen Orient, Monde indien, Paris, Belin-Reclus, Géographie universelle, p. 384-410.

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