Avant toute chose, il importe de s'appuyer sur quelques éléments de définition, que j'ai été chercher dans le Gradus de Bernard Dupriez :
1. Un texte, auquel son auteur attribue un sens dans le cadre d'une isotopie [c'est-à-dire un système référentiel] plus générale. Il s'établit alors deux niveaux d'isotopie, l'un évident, l'autre symbolique; l'un à la dimension du mot (ou de la phrase), l'autre à la dimension de la phrase (ou de l'oeuvre).
Et l 'unique cordeau des trompettes marines
Le sens littéral de ce poème, qui ne compte qu'un seul vers, concerne un instrument de musique du XVIIe siècle, appelé trompette marine à cause de sa sonorité, et qui consiste en une guitare allongée, à une corde, employée sur les vaisseaux du roi pour annoncer les repas...
Un autre sens est probable vu qu'il s'agit ici d'un poème. Le titre, chantre, peut désigner le poète ou tout ce qui, dans l'homme, chante. Et est une continuation et relie ce chant à la vie, à tout ce qui précède le poème. Unique convient au monostique (strophe d’un seul vers). Cordeau est aussi la qualité de ce poème « tiré au cordeau », de dimension si étroite. Trompettes proclamation (de la poésie). Marines parce que, comme la mer, la poésie est mouvante, profonde et universelle, mettant les êtres en communication. Le sens symbolique importe plus ici que le sens littéral.
Rem. 1 : on distingue sens ou valeur symbolique et interprétation symbolique (ou interprétation allégorique, anagogique, analogique). L'interprétation des oeuvres littéraires s'effectue couramment par la recherche d'un ou de plusieurs sens symbolique(s). On peut donner à une oeuvre des valeurs de symbole très diverses, à l'aide de la psychanalyse, de la sociologie littéraire, de la symbolique des nombres, etc. Ces valeurs, même si l'auteur ne les a pas cherchées, ne sont peut-être pas moins réelles que celles qu'il avait dans l'esprit. Mais elles restent postérieures à la création, extérieures même à celle-ci peut-être. Une interprétation symbolique dépend entièrement de son auteur, qui est le lecteur, alors que le symbole comme procédé, dépend de l'auteur du texte et demande à être perçu par le lecteur.
[...]Rem. 2 Les tropes, par lesquels on remplace un signifiant par un autre peuvent s'opérer notamment à la faveur d'une relation de type symbolique entre les signifiés correspondants (métonymies).
2. Un geste ou un objet auxquels la tradition culturelle attribue un sens particulier dans le cadre d'une isotopie plus générale. Ex. : le salut militaire, l'échange des anneaux lors du mariage, le « signe de la croix », le langage des fleurs, la symbolique des nombres. etc. [...] Dans ce type de symbole, le passage d'un terme à l'autre s'effectue non seulement par analogie, mais encore par métonymie ou synecdoque, voire en vertu d'une pure convention. Ex : la tourterelle, pour la fidélité en amour. Si l'objet symbolique représente un ensemble de valeurs, on parle d'emblème ; s'il indique l'appartenance à une institution, on parle d'insigne.
3. Un signe graphique, auquel les spécialistes attribuent un sens dans l'isotopie de leur science ou de leur technique particulière. Exemple : les signes du zodiaque, le code de la signalisation routière, les légendes de déchiffrement des cartes géographiques, ♂ et ♀ pour masculin et pour féminin, etc.
Quand le signe graphique reproduit, de façon plus ou moins stylisée mais sans codification, la forme du signifié, on a un simple dessin et non un symbole : autrement dit, selon la terminologie de Peirce, une icône. Mais il suffit que l'icône entre dans un ensemble de signes analogues, ou qu'elle soit fréquemment utilisée, pour que le signe se simplifie et devienne un symbole iconique. Quand la forme du signifié n'est plus clairement perçue, on a un pur symbole graphique. Ex. ® ou les vignettes des marques de fabrique, des enseignes. […]
Rem. 1 Le mot signe, qui est le générique de la série indice, symbole, etc., reçoit aussi un sens restreint par opposition aux autres termes. On passe du symbole au signe pur par effacement de la relation iconique. Ex. de la tête de taureau, stylisée sous forme de A majuscule tête en bas, perd son signifié à mesure qu'on l'utilise davantage pour désigner un son […]. Les lettres sont des signes. Les chiffres également. En algèbre, a, b, x, y ne sont pas des symboles mais des signes parce qu'ils peuvent représenter n'importe quoi.
La symbolisation a pour propriété centrale d'opérer une condensation. Elle effectue un rapprochement entre une entité langagière circonscrite, discrète, aisément épuisable et un référentiel beaucoup plus large, qui peut éventuellement avoir des propriétés antithétiques (ainsi ∞ symbole de l'infini). Elle a pour efficace, dans la vie quotidienne, de permettre des raccourcis autour de signifiants partagés, qui n'ont au demeurant pas forcément de signifié propre. "Les éléphants" renvoie immédiatement à un fonctionnement supposé ancien et monolithique du parti socialiste, éventuellement à des dignitaires, mais dont on pourrait difficilement arrêter une liste. Au reste, il est assez improbable que la majorité des utilisateurs du vocable aient une idée très claire du fonctionnement socio-politique interne au PS.
L'autre propriété essentielle du symbole est l'incarnation (bien entendu palliative ou fictive) : dans son usage religieux surtout, mais aussi profane, le symbole est supposé incarner ce à quoi il réfère et par là lui offrir un substitut. Dans la plupart des religions, on s'agenouille devant les symboles religieux en tant qu'ils manifestent par leur présence une réalité supérieure. Dans le monde profane, les mots ont tous une fonction symbolique. En revanche, nul n'est obligé de prêter une valeur sacrée ou réelle à leur fonction référentielle. Pourtant, dans un certain nombre de cas où la symbolisation a consisté à se départir de la dénotation initiale du mot, cette fonction d'incarnation semble renchérie. C'est particulièrement évident pour mon exemple des "éléphants". "Mai-68", "l'islamisme", "l'Europe", etc., sont autant de symboles pour lesquels la dénotation s'est en quelque sorte perdue, au profit d'une connotation - péjorative ou positive. Un usage abondant de symboles me semble le signe d'une pensée magique, qui vise l'adhésion davantage que la justification.
Ce qui précisément constitue l'efficacité symbolique (le raccourci) est ce qui le rend hautement toxique, quand il débouche sur une perte du sens. Combien de choses, de pratiques, de comportements, sont ainsi quotidiennement frappés de dévaluation, voire d'interdit par les mécanismes de la symbolisation ? Et que dire du préjudice des symbolisations publiques ? Je suis exaspéré par des couts-circuits du type "les éléphants" ou "les libéraux" (j'ai pris délibérément deux exemples qui ne ressortissent pas aux mêmes catégories d'utilisateurs). Il en est un autre que j'aimerais un jour travailler plus spécifiquement : le "communautarisme" (comme j'ai précédemment traité du "spatialisme").
Qu'en est-il maintenant du symbole par le geste ? Quand Ségolène Royal embrasse un handicapé ou que Nicolas Sarkozy prononce un discours sur Guy Moquet, on est précisément dans un processus visant une isotopie entre un geste actuel et un ensemble de valeurs : la solidarité, la jeunesse, l'engagement, la vertu... Pourtant, le symbole ne vaut pas action. Mais l'homme politique "moderne" fonctionne davantage dans la symbolique que dans le geste "réel", surtout quand il est question de valeurs. Multiplier les gestes symboliques, c'est comme multiplier les références symboliques : c'est contribuer à vider la vie publique de tout sens enraciné dans une action justifiable. La misère de notre monde tient dans la crédulité générale à l'endroit de ces symboles évidés, dans la complaisance à l'égard de ces captations qui relèvent du théâtre.
(article en chantier, qui est loin d'être terminé)