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Roger Brunet, une trajectoire

Roger Brunet est né en 1931, et en ce sens contemporain « exact » des B. Berry, P. Haggett, P. Gould et autres space entrepreneurs de la géographie anglo-américaine. À partir des informations contenues dans Géographes génération 1930 de Claude Bataillon (2009), il est possible de styliser brièvement sa carrière scolaire : d’origine modeste, son cursus est brillant et rapide, d’autant plus que non informé des filières dites « d’élite ». Après un bac « maths-élem », il entre à l’université en 1949, publie ses premiers articles dès 1952-1953, est reçu premier à l’agrégation de géographie en 1953, occupe des fonctions d’assistant puis de maître-assistant pendant 12 ans dans lesquelles il a marqué les étudiants toulousains. Il soutient sa thèse sur les Campagnes toulousaines en 1965, avec une thèse secondaire sur Les phénomènes de discontinuité en géographie qui ont eu toutes deux un grand retentissement. En 1966, il est professeur des universités, à 35 ans, initialement à Toulouse, avant de choisir d’autres horizons (Reims).

Le style de géographie qu’il a développé dans les années 1952-1965 était assez conforme à l’orthodoxie « classique » et ce n’est qu’avec la parution de sa thèse secondaire, Les Phénomènes de discontinuité en géographie, qu’il a commencé à incarner une forme de rénovation disciplinaire soucieuse de théorie — ce qui était assez exotique à l’époque en dehors de quelques cercles de géographes physiciens. Parallèlement, il a toujours montré un tropisme marqué pour le dessin, concrétisé dès 1962 avec l’édition d’un manuel intitulé Le croquis de géographie régionale, où il déploie déjà ses talents d’imagier. Les panoramas de la géographie publiés à la fin des années 1960 le dépeignent en rénovateur soucieux de consolider l’arrière-plan théorique de la géographie et notamment d’y développer des préoccupations de type structuraliste (voir à ce propos son article de 1969, « Le quartier rural, structure régionale », publié dans la Revue de géographie des Pyrénées et du Sud-Ouest). C’est aussi le début d’une activité inlassable de créateur de revues et de projets éditoriaux, de style initialement classique ou hybride, dans lesquels sa plume à la fois accessible et rigoureuse s’impose.

De son propre aveu, Mai 68 a été un moment de prise de conscience qui l’a conforté dans l’idée qu’un profond aggiornamento de la géographie française était nécessaire. Assez bien inséré dans les lieux de pouvoir disciplinaire du fait de sa haute légitimité académique, il multiplie les initiatives rénovatrices au début des années 1970, dont le point d’orgue est le lancement de l’Espace géographique en 1972, point de ralliement des efforts qui commencent à prendre le nom de « nouvelle géographie ». Il y publie personnellement nombre de textes lapidaires : bilans très critiques sur l’état de la discipline, élaborations graphico-textuelles hétérodoxes, propositions théoriques relevant d’intérêts variés. Après une « pause » dans la seconde moitié des années 1970, les années 1980 sont le moment où se déploie son effort majeur pour construire une théorie de l’espace géographique (parfois labellisée chorématique de façon réductrice) visant à unifier ce qu’il voyait comme un ensemble de constructions éparpillées et fragmentaires — sans toutefois vouloir renier ce qu’il considère être les réussites de la géographie classique (cette posture de réconciliation est une constante). Proche du parti socialiste, il occupe des fonctions au ministère de la recherche entre 1982 et 1984 avant de prendre la tête d’un groupement d’intérêt public (GIP) installé à Montpellier. À la fois centre de recherche et maison d’édition, le GIP Reclus collabore avec la DATAR, publie une nouvelle revue dédiée à la cartographie (Mappemonde), pilote une monumentale Géographie universelle et quantité d’autres travaux, avant que la droite universitaire n'en obtienne le démembrement en 1995-1996. Sa notoriété publique a atteint un climax dans les années 1991-1993 alors qu’il était membre du Conseil national de l’aménagement du territoire, époque où ses analyses et formules ont été portées à la connaissance des députés, du grand public et... des lycéens.

L’alternance de 1993-1995 a vu se développer une contre-offensive, venant tout à la fois de concurrents médiatiques à la notoriété pâlissante (Yves Lacoste), des enseignants traditionnels de « l’histégéo » réfractaires à l’irruption des chorèmes dans les manuels du secondaire et de caciques du syndicat autonome ou du RPR, et alors que montait en puissance dans la discipline une « géographie des territoires » hostile par principe au style de géographie qu’avait fini par incarner Roger Brunet. Replié sur un aventin sans amertume mais couronné d’un prix parfois désigné comme le « Nobel » de géographie (en 1996), il poursuit depuis son activité d’auteur, d’éditeur et de curieux.

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