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Gérard Genette (1930-2018)

J'apprends la mort aujourd'hui de Gérard Genette. Philippe Lançon a déjà sorti un très bel hommage dans Libération. Tant mieux, il n'y aura pas besoin d'en rajouter plein d'autres, notamment ici (sinon, ce blog va finir par ressembler à une chronique nécrologique). Dans le numéro 31 de la RHSH, Lucile Dumont a écrit un article très intéressant qui parle notamment de lui (et de Barthes et Todorov). J'imagine que sa thèse doit en dire encore davantage. Lorsqu'elle était venue présenter la première version de son futur article dans le séminaire de Y. Renisio et C. Orozco-Espinel, elle nous avait confié qu'il lui avait été impossible de rencontrer G. G., très réticent peut-être à l'idée de s'épancher devant une jeune sociologue. Pour autant, contextualiser la poétique est utile, ce qu'elle a commencé à accomplir. Mais n'ôtera rien à tous ces livres qu'il a écrits dans les années 1970-80, de Figures III (1972) à Seuils (1984), moment où il a défriché de vastes terrains, souvent dans une perspective étrangement typologisante. Le Genette-analyste d'une œuvre était lui-aussi souvent admirable, encore que d'une manière plus classique, disciplinaire en somme.

J'ai l'intuition que l'homme n'était pas toujours très avenant, lui par ailleurs si drôle et suggestif. De nombreux passages de ses fragments (Barbadrac, 2006 ; Codicille, 2009 ; Apostille, 2012 ; Epilogue, 2014 ; Postscript, 2016) sont vaguement (et même parfois franchement) désagréables, en particulier quand il parle de politique (et notamment de Mai-68). Ce qu'il y a de meilleur selon moi dans ces textes à substrat autobiographique plus ou moins détourné et brouillé survient quand il réfléchit sur la langue, ses usages, ses dérives. On y retrouve alors le très suggestif critique et analyste du langage et de l'expression qu'il a été. On ne peut pas exceller sur tous les tableaux, être à la fois une figure majeure de la critique littéraire française et en même temps un analyste de premier ordre du monde social. La série de ces cinq livres est fascinante, élégante, elle n'en demeure pas moins très en retrait de ce qu'il avait pu faire auparavant.

Ces réserves posées, demeure une œuvre marquante, irréductible à quelques sobriquets comme « structuraliste ». Il y a dans la lecture de bien des textes de G. Genette matière à éprouver le genre de frisson que Nabokov décrit comme le climax de l'acte de lire (reformulation pataude, pas du tout nabokovienne pour le coup). Sa poétique a souffert d'être devenue, débitée en fiches et en glossaires, une nomenclature scolaire que l'on fait ingurgiter aux élèves — c'est un peu le destin tragique qu'on fait subir aux grands défrichages quand on veut les vernaculariser. Raison supplémentaire pour retourner le lire sur pièces ?

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